Les archives privées complètent ce que les archives administratives laissent de côté.

« Birmandreis, le 4 janvier 1952. Ma bien chère Myria,
Nous voici dans une nouvelle année… Elle s’est bien terminée pour moi celle de 1951. Nous avons fait une petite soirée comme nous en faisions à la Lignières, chacun apportant quelque chose pour distraire les autres. Chacun trouvait que c’était charmant. Bien vite minuit nous est arrivé après avoir chanté, récité, lu des histoires, joué et nous en étions à prendre une collation de chocolat (c’est l’occasion ou jamais Noël et Nouvel-An) des brioches et des beignets suisses. C’était exquis. J’étais bien en forme et malgré ma pensée qui vous suivait dans tous vos faits et gestes je pouvais animer cette soirée ».

Dans cet extrait, Dora Meyer (1897–1984), photo ci-dessus, se trouve en mission à Birmandreis  [aujourd’hui Bir Mourad Raïs], en Algérie, pour diriger l’institut adventiste d’Alger nommé « Vie et Santé », une maison de repos et de convalescence située dans les hauts de la ville. Elle entretient une correspondance importante avec sa sœur Myria, restée en Suisse, à Cormoret, un petit village du vallon de St-Imier. Elle ne manque pas de décrire les moindres faits, à l’image du repas servi :

« Assiette anglaise, endives, croustade garniture tomate farcie petit pois, salade, marrons à la chantilly. Pour certains des employés, c’était la première fois qu’elle goûtaient de la crème Chantilly. Seulement celle-ci quoique belle est loin de valoir celle que nous avons l’habitude d’avoir en Suisse. Il parait qu’elle est toujours un peu aigre ici ».

Cette lettre – une parmi des centaines que compte le fonds d’archives « Dora Meyer » – est conservée dans les archives communales de Gland. Avant de se rendre en Algérie, Dora Meyer occupait en effet un poste administratif à la Lignière à Gland. Dès son retour, elle en devient directrice de l’accueil.

 

 

Elle vivra dans la commune de Gland une grande partie de sa vie. Celle-ci étant encore très agricole au milieu du siècle dernier, il existe un fossé entre les campagnes et les villes. Elle écrira par exemple le 11 avril 1947, lors d’un séjour à Zürich :

«Et bien, je me sentais une personne de la campagne quand bien même le paysan me renierait si je devais me trouver à côté de lui. C’est le nez en l’air, les yeux partout que j’avançais dans la rue en me retournant à gauche, à droite, pour éviter les automobiles, les tramways, les vélos, et ne perdant rien de l’impression que me faisaient les gens, les choses, la nature ».

Elle rappelle par ailleurs des anecdotes locales depuis longtemps oubliées :

« En fait de sous tu auras lu que notre sieur Jacques (prénom d’emprunt) en fait des siennes puisqu’il a pu être arrêté. Je me demande s’il est de connivence ou s’il est une victime du marché noir. Je dis victime…en voulant dire qu’alors il serait la victime de ses victimes, car l’individu n’a fait que cela durant toute la guerre. Une histoire de faux-monnayeurs cela fait du bien dans le pays de Gland ! »

Cette importante correspondance éclaire avec douceur, sincérité et une réelle intimité la vie quotidienne et les tracas d’une femme au milieu du XXème siècle dans ce qu’elle a de plus personnel, de plus universel, et de plus touchant.

Mais si cette importante correspondance ne documente que peu la « grande histoire », elle en fait toutefois constamment allusion, ici et là. Elle décrit par exemple ses astuces dans un contexte de rationnement durant la Seconde Guerre (lettre du 21 février 1941). Elle est marquée par le discours de Truman lors de sa cérémonie d’investiture qu’elle découvre en direct à la télévision le 20 janvier 1949 – la télévision semble toutefois plus l’impressionner. Les échos qu’une bombe très puissante soit tombée sur une ville japonaise la terrifie, tout comme la crainte d’une potentielle pénurie de sucre le 14 juillet 1950…

Les archives privées complètent ce que les archives administratives laissent de côté.
Elles racontent, par fragments, ce qui ne se décrète pas. Toutes ces petites choses qui font la vie, et nous relatent ce que nos ancêtres ont vécu, et dans ce cas pensé ! C’est ce qui en fait un grand fonds d’archives, rare et précieux.
Il exige une lecture attentive et une mise en contexte.

Avez-vous des archives familiales ?
Ces archives ont été déposées par des particuliers.
Et c’est souvent à ce niveau que tout commence : un carton conservé dans une cave, une boîte de lettres transmises.
De plus en plus de communes, à l’image de la commune de Gland, choisissent aujourd’hui d’accueillir ces fonds, de les classer, de les préserver — car ils enrichissent la mémoire collective d’une autre lumière : plus intime, plus sensorielle, plus humaine.

Toute l’équipe de Pro Archives vous souhaite de belles fêtes de fin d’année !